Il y a pas mal d’années, en analysant le succès et le pouvoir de rétention des Idle Games, j’y ai trouvé une structure de conception qui, plus elle est travaillée et réfléchie, plus elle offre au jeu une rétention et un engagement élevés.

 

INTRODUCTION

On va déjà commencer par définir ce qu’est un Idle Game (autrefois appelé ZPG pour Zero Player Game), juste histoire qu’on soit en phase vous et moi et que nous parlions de la même chose.

Selon moi, un Idle Game possède pour critère principal celui de progresser dans certains aspects du jeu sans avoir besoin d’intervention du joueur, même quand le jeu n’est pas lancé.

Ce sont les jeux de type Cookie Clicker, Clicker Heroes, Adventure Capitalist, Idle Miner Tycoon…

Des éléments importants à retenir c’est qu’ils ont de très nombreux marqueurs de progression et qu’on doit faire et refaire la même chose en permanence au travers de boucles de compulsion.

 

BON ET DU COUP QU’EST-CE QUE DES BOUCLES DE GAMEPLAY IMBRIQUÉES ?

La première boucle de compulsion d’un Idle Game est simplement de cliquer sur l’écran. Imaginons un jeu de type Clicker Heroes, voici comment ça se passe :
La première boucle est simple : Cliquer -> Infliger des dégâts

Une fois répété un certain nombre de fois, on va dévier dans une autre boucle, qui est une boucle de compulsion classique :
Clic -> Vaincre un adversaire -> Collecter récompense -> Aller au niveau suivant

La récompense étant de l’or et le niveau suivant étant l’arrivée d’un adversaire plus coriace, qui va lâcher une meilleure récompense.

On va repasser plusieurs fois dedans avant d’aller à une suivante :
Clics -> Vaincre -> Collecter -> Améliorer le clic
Puis une autre : Clics -> Vaincre -> Collecter -> Acheter un nouvel élément
Et ainsi de suite : Clics -> Vaincre -> Collecter -> Améliorer l’élément
Clics -> Vaincre -> Collecter -> Débloquer une compétence
Utiliser compétence -> Attendre le rechargement de la compétence
Réinitialiser la progression -> Collecter -> Améliorer pour la partie suivante

On peut se représenter la structure du jeu que je viens de décrire d’une façon plutôt simple et élégante :

Le joueur commence à l’étoile ; c’est la première boucle (les clics et les dégâts), qu’il va répéter N fois avant de faire un tour dans la suivante un peu plus grande, puis la suivante, puis faire quelques tours de la seconde petite (améliorer l’élément au lieu du clic, celle en pointillée est une copie de la boucle initiale clic->dégâts), puis la suivante, etc…

Le bleu correspond aux boucles d’améliorations et de déblocage des éléments.
Le rouge correspond à l’utilisation des compétences quand elles sont débloquées par la boucle bleue associée.
La boucle verte représente la réinitialisation.

Plus la boucle est grande, plus elle nécessite de temps pour entrer dedans, et donc va demander au joueur de rester devant son écran pour un certain temps.

Si vous avez déjà joué à Clicker Heroes, vous devriez pouvoir retracer votre progression dans le jeu sur ce graphique, en tournant le long des cercles à la façon d’une particule qui tourne dans un accélérateur de particules, en changeant de circuit au fil du temps.

Et vous comprenez ainsi pourquoi je parle de boucles imbriquées.

 

ET ALORS ?

Selon ce modèle pour tenir la joueur engagé plus longtemps vous l’aurez déjà compris, ce n’est pas compliqué : il suffit juste d’imbriquer de nouvelles boucles. Par exemple avec de nouveaux éléments (des équipements, des runes, des joyaux, des artefacts et reliques, des bénédictions divines, des arbres de compétence…) qui vont se débloquer au fil du jeu.

Pour vaincre la lassitude, la progression dans le jeu va faire que chacune des boucles va se raccourcir au fil du temps, allant même jusqu’à l’automatisation de certaines.
C’est un point extrêmement important car c’est lui qui va déterminer si le joueur abandonne et désinstalle le jeu ou non.
En raccourcissant, voire automatisant, les boucles devenues rébarbatives à la longue, on offre une meilleure expérience de jeu au joueur qui va rester ainsi plus longtemps avant d’abandonner et le désinstaller.

Pour équilibrer la progression il suffit de déterminer quel est le temps nécessaire pour entrer dans chacune des différentes boucles en se basant sur une vitesse moyenne de clic (les joueurs plus lent iront plus lentement et les joueurs plus rapides iront plus vite), jusqu’à ce que le clic soit automatisé ou plus nécessaire. Ce ne sont que des mathématiques de base qui dépendent des différentes valeurs du jeu (dégâts, PV des monstres, DPS des héros… etc).

 

Le schéma de structure qu’on a vu au chapitre précédent est la forme classique qu’on retrouve dans les Idle Games avec des héros à débloquer, elle est différente en fonction des jeux, comme permettre des boucles qui tournent en parallèle.
Et c’est là le côté pratique, c’est que pour concevoir la base d’un Idle Game, il suffit de tracer des cercles selon une forme qui nous plaît, puis de les traduire en éléments de jeu.

 

CAS PRATIQUE : ASSASSIN’S CREED ODYSSEY

Ce principe de boucles imbriquées n’est pas réservé qu’aux Idle Games mais peut être réutilisé dans tous les jeux offrant une progression basée sur le contenu, comme les RPG.

Dans le cas d’un Action RPG avec monde ouvert comme Assassin’s Creed Odyssey, on peut ainsi identifier les imbrications des différentes boucles dans le parcours joueur et améliorer son expérience en agissant sur celles-ci à partir d’un certain nombre d’itérations.

Si le côté classique du A-RPG est bien maîtrisé (itémisation et arbre de talents) en rendant le personnage plus puissant/polyvalent (on peut détruire les boucliers, assassiner à distance, sauter d’une hauteur infinie, effectuer de grosses attaques, se soigner, être plus discret…), il n’en va pas de même pour toute l’expérience de jeu qui peut être améliorer une fois que les boucles imbriquées sont bien identifiées.

En tant que RPG, la boucle principale est la boucle narrative qui consiste à effectuer des quêtes :
Déclencheur quête (PNJ, objet, lieu) -> Déplacement -> Action -> Retour -> Récompense

Les quêtes se font de façon locale (dans la région en cours), avant de nous envoyer dans une région suivante :
Quêtes locales -> Aller dans une nouveau région -> Quêtes locales…

D’un point de vue microscopique, on peut voir une boucle dans un des éléments précédents ; L’arrivée dans une nouvelle région demande au joueur de synchroniser les points de celle-ci pour débloquer les voyages rapides :
Exploration -> Synchronisation (pour débloquer le voyage rapide) -> Exploration -> Synchronisation…

Toujours dans la macro, l’exploration aussi peut être vue comme une boucle, étant donné que le déplacement nous fait croiser des ressources nécessaires à l’amélioration (bois et fer) :
Avancer -> Collecter ressources -> Avancer…

 

Plus le joueur avance dans le jeu, plus ses priorités changent et les tâches immersives qu’il faisait à l’origine deviennent parasites et source d’inconfort ; l’exploration nécessaire à la synchronisation, le ramassage de ressources dans la nature, les petits trajets en sortant d’un voyage rapide, les trajets longue distance…

Il est ainsi possible de diminuer la peine infligée par ces désagrément en raccourcissant les boucles. Les solutions sont nombreuses :

  • Pour l’exploration : Donner accès à des PNJ cartographes qui révèlent les zones et indiquent les lieux non-visités
  • Pour la collecte de ressources : récolter automatiquement les ressources quand on passe à proximité / augmenter la portée de la collecte
  • Pour les petits trajets après voyage rapide : multiplier les types de points permettant le voyage rapide, comme les ports et/ou rajouter un réseau secondaire de téléportation (par exemple des panneaux sur les routes)

C’est d’autant plus facile à mettre en place que la progression dans le jeu est déjà contrôlée par certains éléments comme le niveau d’amélioration de la lance, des milestones dans l’Odyssée, des échelons de Mercenaires… il ne suffit de donner accès à ces améliorations que sous certaines de ces conditions au joueur, de façon automatique ou scénarisée, au moment où l’équipe de design estime que ça devient plus une peine qu’un plaisir.

Ce ne sont que des exemples, en regardant les boucles de façon macro ou micro, on peut soulever d’autres points (augmenter la vitesse de la monture hors ville/en ville/en trajet automatique, la vitesse du bateau hors combat…).

 

COMMENT CELA IMPACTE L’EXPÉRIENCE DU JOUEUR ?

On se retrouve ainsi avec un rythme de jeu mieux centré sur les éléments primordiaux ; et c’est important car moins la peine est grande sur les éléments devenus inintéressants, plus la motivation de faire d’autres éléments du contenu augmente, comme les quêtes secondaires ou les objectifs de lieu. L’exploration dans un but d’immersion/contemplation redevient un choix et plus une obligation frustrante.

En faisant passer moins de temps le joueur sur certains aspects, il va rester plus longtemps sur le jeu en se reportant d’autres aspects, et l’apprécier d’autant plus. On peut par exemple mentionner World of Warcraft qui fonctionne sur ce principe avec un grand nombre d’évolution des moyens de déplacement au fil de la progression du joueur.

Assassin’s Creedy Odyssey peut se permettre de faire ce genre de changements, la durée de vie du jeu étant faramineuse si on veut compléter 100% du contenu qu’il n’est pas problématique de sacrifier du temps total nécessaire (sur les déplacements donc) pour augmenter le temps de jeu moyen de la base des joueurs.

 

Edit : CAS PRATIQUE 2 : THE CREW 2

Voir ici : Modéliser la structure d’un jeu en une image

 

CONCLUSION

Les boucles de gameplay imbriquées permettent d’avoir une représentation schématisée du jeu, de visualiser le parcours du joueur et d’identifier assez rapidement quels sont les points forts et points faibles de la conception sur l’expérience du jeu.

Elles peuvent être utilisées pour augmenter la durée de vie en trouvant de nouvelles solutions d’ajout de contenu à moindre coût tout en respectant la cohérence, aider à équilibrer le rythme du jeu en tenant compte de la progression et ainsi favoriser la rétention et l’appréciation du jeu par le joueur ;

Mais aussi dans le but de pouvoir représenter le parcours du joueur en une seule image, ce qui peut avoir de gros avantages pendant le processus de création/développement, ou pour les mises à jour ;

Des modules de boucles peuvent également être créés et greffés à des modèles de projets existants pour gagner du temps en conception ou amener un nouvel aspect tout en conservant la cohérence.