Comme j’en parlais dans un article précédent, il existe différentes façons d’équilibrer un jeu dès le début de sa conception sans même rentrer dans les mathématiques, mais en restant uniquement dans l’aspect mécanique.

Traditionnellement, la difficulté d’un jeu est gérée par un choix du joueur en début de partie (facile, moyen, difficile, etc) et sera réglée par les game designers au plus proche de leur idée rapport au public visé.

Seulement, il n’est pas possible de catégoriser toute la population mondiale dans seulement 3 catégories (ou 4, 5…), sachant que tous les tronçons d’un jeu ne sont pas de difficulté égale. L’idée est alors de proposer une difficulté adaptative, c’est-à-dire qui évolue en fonction du talent du joueur.
Mais il est étrangement très rare de voir un vrai travail effectué sur de tels procédés, alors qu’ils existaient déjà bien avant la mise en place du choix de difficulté et sont présent dans tous les jeux.

Quantifier le talent d’un joueur ne se fait pas automatiquement à grand coup de formules mathématiques, mais peut très bien se faire grâce à la mécanique pure, comme j’en parlais un peu plus haut.

Il existe des façons très simples de proposer un dynamisme dans la difficulté d’un jeu, que je nomme les 4 politiques de difficulté adaptative.
1) Récompenser le joueur qui y arrive.
2) Récompenser le joueur qui n’y arrive pas.
3) Punir le joueur qui n’y arrive pas.
4) Punir le joueur qui y arrive.

Chaque politique est valide et efficace, mais ne s’adresse pas toujours au même public ou n’est pas aussi efficace en fonction du contexte dans laquelle on l’utilise : imaginez des ingrédients pour une recette de cuisine, un ingrédient pourra être bon pour votre santé mais ne se mariera pas forcément avec les autres ingrédients de la recette (le contexte) ou alors ne correspondra pas à votre culture (le public visé).

I – Récompenser le joueur qui y arrive
C’est la méthode la plus utilisée dans le domaine du jeu en général, qu’il soit vidéo ou plateau. Lorsque le joueur atteint un objectif, il reçoit une récompense qui lui rendra la suite du jeu plus facile. Culturellement logique pour la plus grande majorité des êtres humains, cette politique reflète simplement le principe d’éducation classique du : « fait quelque chose de bien, tu seras récompensé ».
Ceci explique pourquoi elle parle facilement à tous les publics.

En plus de cela, cette politique possède d’autres spécificités :
Elle stimule la motivation des joueurs en leur présentant les récompenses à l’avance, afin de leur donner envie de remplir les objectifs, mais elle stimule aussi dans certains cas le besoin de reconnaissance de la part de ses semblables, lorsque ces récompenses deviennent publiques (les achievements, par exemple).

Néanmoins, comme cela a pour conséquence de rendre généralement le joueur plus « puissant » au fil des récompenses qu’il gagne (et donc de lui rendre le jeu de plus en plus facile) et si dans un mode de jeu solo, il est facile de modifier le contenu pour qu’il s’adapte aux récompenses du joueur (les ennemis ont par exemple plus de points de vie), cela n’est pas le cas pour les jeux multijoueur…

C’est dans une situation de multijoueur que la méthode de récompenser le joueur qui réussit montre ses limites : si le joueur réussit, c’est parce qu’il est apparemment meilleur que les autres. Lui donner des récompenses qui vont le rendre plus « puissant » va ainsi creuser l’écart d’équilibre qui existait déjà entre les joueurs et peut créer des situations où il est impossible de voir des joueurs de « milieu ou bas de tableau » rattraper ceux de tête, car leur avance sera trop grande.

Si je bats déjà mon adversaire, pourquoi aurais-je besoin d’un avantage supplémentaire face à lui ?

Bien qu’elle ne soit pas à exclure des parties multijoueur, cette politique demande une très grande attention car la moindre erreur de conception risque de provoquer des effets de déséquilibre boule de neige, générer de la frustration et impacter directement sur la qualité de la communauté.

Public visé : Tout le monde
Avantages : Satisfaction personnelle, stimule la motivation, voire satisfait le besoin de reconnaissance.
Risques : Creuse le déséquilibre, peut générer beaucoup de frustration/lassitude.

Exemple de jeux utilisant cette méthode dans un mauvais équilibre :
Call of Duty (plus la performance du joueur est grande, plus il débloque des armements et options efficaces)
Defense of the Ancients, League of Legends (comme le feeding ou le principe du gain d’or au last hit/kill/assist, mais cela mériterait un article détaillé complet)

II – Récompenser le joueur qui n’y arrive pas
« Euh, ça existe ça ? » me dit-on parfois quand j’en parle. Eh oui, même des jeux très célèbres utilisent cette politique de difficulté adaptative.
Les joueurs n’envisagent que très peu cet aspect — qui est pourtant la transposition de cette valeur morale qu’est la solidarité — même dans des milieux coopératifs. Néanmoins cela n’est pas très étonnant car le jeu, surtout quand il est multijoueur, place généralement les joueurs dans une situation de compétition. Cette politique est surtout utilisée dans le casual gaming, justement là où la compétition est moins présente entre les joueurs.

Dans Mario Kart, les pistes sont parsemées de caisses que les joueurs peuvent ramasser pour se voir attribuer une arme choisie aléatoirement. Aléatoirement ? Pas vraiment. En fonction de la position du joueur dans la course, les chances d’obtenir une arme extrêmement puissante, très situationnelle ou difficile à utiliser changent considérablement (jusqu’à l’impossibilité d’en obtenir).
Dans le cadre de joueurs ayant le même niveau, l’issue de la course sera totalement aléatoire, rythmée par la chance des uns et des autres à obtenir des armes adéquates dans ces caisses.

Dans Mario Kart Wii, les armes peuvent être d’une telle puissance et tellement facile à obtenir que même un très bon joueur n’aura quasiment aucune chance de rester premier en permanence face à des joueurs qui savent se débrouiller un minimum (voire pas du tout) à cause de ce déséquilibre.
En revanche, cela se rapproche plus de la mentalité casual où les joueurs ne sont pas tellement pour faire une compétition pêchue mais plus pour s’amuser en s’envoyant des gifles à longueur de piste dans la joie et la bonne humeur.

A l’inverse, dans Sonic & All-Stars Racing qui reprend ce même système, on s’aperçoit que l’efficacité des armes est bien moindre et qu’elles ne prennent pas le pas sur la talent du joueur. Ce jeu est sorti sur XboX 360, console qui ne vise pas le même public que celui de la Wii.

Pourtant, qu’est-ce qui empêchait ces 2 titres de proposer une option permettant de modifier le set des probabilités (de la même façon qu’un « facile, moyen, difficile » pour le choix de la difficulté) afin de convenir à différents panels de joueurs ? Rien. Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait ? Mystère.

Même dans une optique de compétition, ce système pourrait bien être le système idéal (en partant du principe qu’il est bien équilibré), car il comble l’écart de talent entre le joueur expérimenté et le débutant, en proposant un challenge supérieur pour le premier et en donnant une chance au dernier. Ainsi, des joueurs très différents pourront parfaitement s’affronter et des joueurs de même niveau ne seront départagés que par leurs talents respectifs.
Pour faire simple, cela corrige les fameuses remarques du « j’ai aucune chance contre un tel, il est trop fort pour moi, je ne joue pas » et nous épargne d’avoir à inventer des méthodes de calculs barbares pour traduire le niveau d’un joueur en un nombre entier, afin de lui trouver des adversaires adaptés.

Public visé : Tout le monde, principalement utilisé envers le public casual.
Avantages : Réduit l’importance de la différence des niveaux entre les joueurs
Risques : Que la récompense soit trop importante et amène les joueurs à perdre volontairement pour avoir un avantage trop évident.

Exemple de jeux utilisant cette méthode dans un mauvais équilibrage :
Mario Kart Wii (reprise d’un ancien jeu pour joueurs, mais ciblant uniquement le public casual, avec un déséquilibre écrasant le talent du joueur face à ses adversaires)
Prince of Persia 2008 (où il est impossible de mourir, le joueur est placé après le piège où il vient d’échouer)

III – Punir le joueur qui y arrive
« C’est possible ça ? » ; eh oui, c’est possible !

Bien que contraire à la politique numéro 1 qui consiste à récompenser le joueur qui y arrive, elle s’utilise pourtant dans les mêmes conditions : Cohérente en solo, très peu en multijoueur.

Pourquoi ?
Cohérente en solo car elle augmente le challenge proposé au joueur qui fait un sans faute et diminue ainsi les risques que celui-ci se lasse et abandonne le jeu avant la fin.

Peu efficace en multijoueur car il est toujours plus frustrant dans un FPS de se faire couper une jambe et se déplacer moins vite que d’offrir un objet à son adversaire-moins-fort qui lui permettra de se déplacer plus vite, afin de creuser l’écart qui règne entre les deux joueurs.
Sauf contexte particulier, c’est souvent une très mauvaise idée de limiter les possibilités du joueur qui réussit, de lui empêcher de déployer tout son talent, ne serait-ce que pour le côté hautement frustrant que cela provoque. Dans ces conditions, une défaite du joueur-qui-réussit ne s’analysera pas par une capacité de son adversaire-moins-fort à utiliser les possibilités supplémentaires dont il a bénéficié, mais tout simplement par la faute du méchant jeu.

Plus simplement, quand vous jouez aux échecs contre un enfant de 6 ans, c’est généralement mieux de lui donner 3 reines supplémentaires pour palier à ses capacités tactiques et d’anticipation que de se faire amputer une moitié du cerveau.

Public visé : Tout le monde, principalement utilisé envers le public hardcore gamer.
Avantages : Renouvelle le challenge proposé.
Risques : Générateur extrême de frustration.

IV – Punir le joueur qui n’y arrive pas
Très utilisée dans les jeux pour hardcore gamers, elle fonctionne comme suit : Plus le joueur rate, moins il a de chances de réussir. Elle est faite pour satisfaire le côté masochiste des joueurs en annulant généralement toute une partie du temps que le joueur a investi dans le jeu. Fréquente dans les jeux de rôle et les hack’n slash, en cas de mort de son personnage, on assiste à tout un florilège de punitions comme la diminution des caractéristiques de son personnage, une perte d’expérience, d’or et de durabilité sur l’équipement porté, voire la suppression de son personnage pour les modes dits « hardcore » (comme dans Diablo par exemple).

C’est cette politique que l’on pointe du doigt à tort quand on veut qualifier un jeu de « difficile ».
« Pourquoi à tort ? », me direz-vous. Eh bien parce qu’elle ne rend le jeu plus difficile précisément que pour celui qui échoue et n’aura aucun impact sur le joueur qui réussit depuis le début.

En quoi un jeu est spécialement difficile si j’arrive à réussir toutes les situations qu’on me propose ? Quelle importance si mon personnage est supprimé lors de la mort si je suis incapable de mourir ?

C’est sur ce principe que Dark Souls avait basé toute sa campagne de pub : un jeu très difficile. Cela avait même tellement bien marché auprès du public en manque de jeux difficiles (ne choisissez pas « difficulté -> facile » à chaque jeu auxquels vous jouez alors) qu’il a rapidement acquis une réputation de jeu « le plus difficile » ou même « où on ressent une satisfaction extrême au-delà de tout ce que vous avez pu connaître en réussissant quelque chose de difficile ailleurs » (ben voyons, merci le pouvoir de suggestion).
Alors qu’en fait, le jeu ne fait que punir le joueur qui foire. Les joueurs talentueux n’y ont pas vu la moindre difficulté.

Il sera quand même intéressant de noter que c’était la politique utilisée dans la grande majorité des jeux vidéo des années 80/90, surtout pendant l’âge d’or des jeux d’arcade. Vous savez, le fameux : « Continue ? 9, 8, 7, 6… ». Eh oui, tout comme le système de vies et le « Game Over », c’est une punition du joueur qui n’y arrive pas (et c’est assez efficace pour lui réclamer de l’argent dans les salles de jeux ! Alors que les bons joueurs pouvaient terminer ces mêmes jeux avec seulement 10 francs).
Encore utilisée aujourd’hui, elle est de plus en plus délaissée, sauf dans certains genres où elle a la vie dure (haha), comme le milieu du jeu de plate-formes par exemple (et toujours les jeux arcades, bien entendu).

Public visé : Joueurs arcade, Hardcore gamers.
Avantages : Régule le temps de jeu, fait passer un message au joueur, remplace la fessée.
Risques : Générateur extrême de frustration.

Exemple de jeux utilisant cette méthode dans un mauvais équilibrage :
Guild Wars (plus on meurt en PvE, moins on a de chances d’arriver à tuer le monstre qui nous ennuie, voire l’impossibilité de le faire, tant que le débuff de caractéristiques est présent (à moins que cela n’ai changé))
Dark Souls (punition extrême du joueur pour faire croire à une difficulté extrême du jeu)

Conclusion
Vous l’aurez compris, toutes ces politiques ont des avantages tous utiles et chacune de ces politiques de difficulté adaptatives doit être considérée avec précision lors de la conception d’un jeu, bien plus que la différence de points de vie et de force du monstre lambda entre la difficulté easy et insane-of-the-hell ; et tout comme le système de choix, il devrait être réglable/désactivable en fonction du public auquel on appartient (en évitant que cela créée des groupes élitistes parmi les communautés de joueurs).

Pour une illustration de l’utilisation de ces 4 politiques, voir cet article.