« Cela fait plaisir de voir que l’imagination des développeurs n’est pas morte ! » peut-on entendre souvent depuis la sortie de Borderlands 3, qui propose au joueur pléthore d’armes aux comportements variés et surtout très inattendus.
La création de ce genre d’éléments, est-ce bien une question d’imagination ? Voici une méthode personnelle pour créer du contenu non-narratif : elle est extrêmement simple et permet d’arriver au même résultat sans trop d’effort intellectuel.

INTRODUCTION
Dans la grande majorité de l’industrie les termes « content design » (conception de contenu) se rapportent surtout au travail du narrative designer dont le but est de se charger de créer du contenu narratif, comme par exemple les très nombreuses quêtes annexes d’un RPG ou le background des personnages d’un jeu.

Depuis l’explosion du nombre de « games as a service » (GAAS) dont les modèles économiques basés sur le micro-paiement demandent la création de contenu toujours plus grand (niveaux, personnages, compétences/sorts, skins…), il y a eu dans certains studios l’appropriation du content design par les game designers dans l’optique de créer du contenu non-narratif ; comme par exemple sur mobile, pour celui qui va devoir créer tout plein de personnages et leurs compétences respectives afin d’alimenter la boutique gatcha du jeu.

Il existe tout plein de méthodes pour créer du contenu non-narratif, je m’en suis créé moi-même plusieurs et je suppose qu’il en existe plein d’autres ; mais aujourd’hui je vais vous parler de l’une d’entre-elles : la méthode des mots clés.

 

LA MÉTHODE DES MOTS CLÉS, QUESACO ? LE PRINCIPE DE BASE
Admettons qu’on veuille créer des armes originales comme dans Borderlands 3, la première étape consiste à décrire le fonctionnement d’une arme standard par une phrase simple, puis de la décliner en changeant les mots qui la constitue :

L’arme tire un projectile.

Ici la phrase est constituée d’un sujet d’un article (un) et d’un nom (projectile), ils vont constituer les mots clés que l’on va changer pour modifier le comportement de l’arme et en créer de nouvelles.

Exemples :

L’arme tire un projectile. -> remplaçons un par deux, trois ou plein.

  1. L’arme tire deux projectiles.
  2. L’arme tire trois projectiles.
  3. L’arme tire plein de projectiles.

L’arme tire un projectile. -> remplaçons par laser, éclair ou boule de feu.

  1. L’arme tire un laser.
  2. L’arme tire un éclair.
  3. L’arme tire une boule de feu.

Jusque-là, rien de bien foufou vous allez me dire ; c’est normal ce ne sont que les bases, ne vous inquiétez pas on y vient.

L’intérêt de cette méthode réside dans deux principes qui sont le type de mots clés que l’on va changer et le degré de complexité de la phrase, mais on y reviendra plus loin dans l’article. Pour ce qui est du type de mots clés, reprenons notre phrase de tout à l’heure et prenons comme mots clés le verbe (tire) et le sujet (l’arme) :

L’arme tire un projectile.

On peut remplacer le verbe par un verbe classique du jeu vidéo comme propulser, mais aussi par un autre qui contextuellement est plus original : manger.

  1. L’arme propulse un projectile.
  2. L’arme mange un projectile.

Nous sommes d’accord que pour l’instant ça ne veut pas dire grand chose, on y reviendra. Occupons nous maintenant du sujet et appliquons les mêmes principes :

L’arme tire un projectile.

    1. L’arbre tire un projectile. -> Les arbres autour tirent des projectiles.

Même si on se retrouve avec des idées originales, pour l’instant tout ça n’a pas de forme et demande toujours un travail d’imagination.

Pour l’instant nous n’avons changé qu’un seul mot clé par phrase, mais bien évidemment le but c’est aussi d’en changer plusieurs :

  1. L’arme mange un adversaire.
  2. Les arbres autour propulsent du bois.

Bref, maintenant qu’on a compris le principe de base des mots clés, il est temps de passer à l’étape suivante.

 

COMPLEXITÉ ET COHÉRENCE DES PHRASES
Comme vous l’avez sûrement remarqué, ce qui limite fortement le sens et donc le potentiel de la phrase précédente, c’est qu’elle est bien trop courte et ne décrit pas assez précisément le comportement de l’arme. Si on veut créer des armes à partir de « l’arme mange un adversaire » et « les arbres autour propulsent du bois », ça demande toujours un petit effort d’imagination.

Pour y remédier, il faut partir de phrases plus descriptives :

L’arme tire un projectile par le canon

Appliquons-y des modifications successives en rajoutant des éléments descriptifs du comportement au fur et à mesure, en corrigeant les incohérences par la pose de questions et d’observations :

L’arme tire un projectile par le canon.

    1. L’arme mange un projectile par le canon. -> Mange un projectile ? Cela ne veut rien dire.
    2. L’arme mange un adversaire par le canon. -> Manger un adversaire par le canon ? Pourquoi ?
    3. L’arme mange un adversaire par le canon, le canon a la forme d’une tête de requin. -> Comment fait-elle ?
    4. L’arme mange un adversaire par le canon, le canon a la forme d’une tête requin. La tête de requin grossit et s’avance pour donner un coup de crocs à l’adversaire en face. -> Quand fait-elle ça ?
    5. L’arme mange un adversaire par le canon, le canon a la forme d’une tête requin. Quand le joueur appuie sur un bouton, la tête de requin grossit et s’avance pour donner un coup de crocs à l’adversaire en face.

C’est un pisto-requin, qui est une arme de corps à corps dont l’allonge dépend de la transformation du canon lors du coup de dents.

Mais on peut très bien prendre d’autres pistes pendant la pose de questions, reprenons à l’étape 4 de la construction précédente :

L’arme mange un adversaire par le canon, le canon a la forme d’une tête requin. La tête de requin grossit et s’avance pour donner un coup de crocs à l’adversaire en face. -> Quand fait-elle ça ?

    1. L’arme mange un adversaire par le canon, le canon a la forme d’une tête requin. Dès qu’un ennemi approche, la tête de requin grossit et s’avance pour donner un coup de crocs à l’adversaire en face. -> Si l’effet est passif, du coup c’est bizarre que ce soit un genre de pistolet non ?
    2. L’arme est un bouclier, elle mange un adversaire par le canon, le canon a la forme d’une tête requin. Dès qu’un ennemi approche, la tête de requin grossit et s’avance pour donner un coup de crocs à l’adversaire en face. -> Alors il faut adapter la phrase, y’a plus de canon.
    3. L’arme est un bouclier, elle mange un adversaire par son centre, le centre du bouclier a la forme d’une tête requin. Dès qu’un ennemi approche, la tête de requin grossit et s’avance pour donner un coup de crocs à l’adversaire en face. 

Évidemment, là je vous « détaille les calculs », mais en pratique ça va beaucoup plus vite.
Si on reprend notre phrase « Les arbres autour propulsent du bois. » et qu’on applique la méthode, par étapes on peut arriver en quelques secondes à quelque chose comme :

  • Quand le joueur maintient l’appui sur un bouton, les arbres autour de l’arme du joueur propulsent d’énormes échardes de bois qui viennent se concentrer en face d’elle. En relâchant le bouton, les échardes de bois partent en ligne droite jusqu’à se planter dans le premier ennemi ou obstacle rencontré. Plus il y a d’échardes de bois, plus les dégâts sont élevés.

Je me suis amusé à créer quelques armes de cette façon, en partant de la simple modification d’un mot, puis en brodant autour par rapport aux questions/observations qui viennent naturellement :

Phrase initiale : L’arme tire
Mot clé changé : l’arme absorbe

    • L’arme a la forme d’un cœur palpitant que le PJ tient dans la main. Lorsque le joueur maintient un bouton appuyé, sa main presse le cœur et l’arme absorbe peu à peu le sang des adversaires situés dans un cône situé en face du PJ. Plus les ennemis sont affectés, plus ils se dessèchent visuellement, perdant leurs PV au fil de l’absorption.
      Au fur et à mesure que le cœur absorbe du sang, il grossit jusqu’à une taille limite. Si le joueur relâche le bouton ou si le cœur atteint sa taille limite, la pression de la main du PJ se relâche et tout le sang accumulé par le cœur est alors absorbé par le joueur, qui va regagner un nombre de PV proportionnel à la quantité de sang absorbé par l’arme.

On pourra compléter la description en indiquant les variables (cadence de l’arme, quantité de dégâts, limite de sang absorbé, quantité de PV rendus, nombre d’utilisations maximales, temps de rechargement…), ou en donnant d’autres informations visuelles et sonores.

Ou pour rester dans la thématique du requin :

Phrase initiale : L’arme tire un projectile
Mot clé changé : L’arme tire un requin

    • L’arme tire un requin à tête chercheuse par son canon. Lors du tir, le requin tombe au sol et s’enfonce à moitié dans le sol. Le requin va détecter l’ennemi le plus proche et se ruer vers lui en nageant, faisant des éclaboussures pendant son déplacement. Le requin évite les obstacles et grimpe aux murs/plafonds pour atteindre les ennemis situés à différents niveaux. Le joueur sort un aquarium de sa poche qui contient des petits requins (égal au nombre de munitions), et le visse à l’arme qui a une forme de bazooka ; il tire alors sur un levier qui aspire un requin de l’aquarium. Quand l’arme est prête à tirer, la tête du requin dépasse du canon et s’agite quand des ennemis sont proches.

Le seul petit effort que ça m’a coûté, ce sont les quelques secondes pour trouver le premier mot-clé ; la suite s’est écrite toute seule.

CONCLUSION

Là j’ai pris des exemples un peu stupides/wtf, mais ce n’est pas nécessaire de partir aussi loin, il suffit d’adapter au contexte/thème dans lequel se situe le jeu.
On peut assez rapidement tomber sur les mêmes armes que Borderlands 3, en s’intéressant au comportement de l’arme en se basant sur les mots clés improbables comme « rechargement » « projectile » « munition » « impact », etc.

Ma passion étant le system design et faisant tout un tas de protos de systèmes de jeu, devoir créer du contenu non-narratif pour les exploiter ça me saoule, j’ai donc du mettre au point des méthodes pour faire ça sans effort intellectuel. Je trouve celle-ci assez pratique, et évidemment ça peut être utilisé pour créer plein de choses qui n’ont rien à voir avec des armes, surtout utilisé conjointement à mes autres méthodes (comme l’association, lister les briques, combler les vides… j’en parlerai probablement dans d’autres articles).